Quelques années auparavant : Théorème

— Chers spectateurs, chers invités, soyez les bienvenus dans notre programme de vulgarisation. Nous allons commencer cette émission par en rappeler le sujet. Nous avons choisi un thème fondamental de notre époque : le Théorème de Schwartz. J'ai aujourd'hui trois invités pour nous parler du Théorème de Schwartz. Nous allons commencer les présentations par le plus prestigieux d'entre eux. Il s'agit du professeur de mathématiques Alina Geberit, détentrice de la médaille Fields qui, rappelons-le, est l'équivalent du Prix Nobel pour les mathématiciens. Comment doit-on vous appeler ? Est-ce que « professeur » est le titre approprié puisque vous êtes professeur de mathématique au M.I.T à Boston ?

— Appelez-moi Alina, j'ai horreur des titres. Mais la médaille Fields n'est pas l'équivalent du Nobel. Le Nobel récompense une carrière, la médaille Fields récompense un travail précurseur.

— Hum, oui ! Merci Alina, pour ces précisions. Vous avez compris que notre émission est destinée au plus grand nombre. Est-ce qu'il est possible en quelques phrases simples d'expliquer ce qu'est le Théorème de Schwartz ?

— Oui, je crois que c'est possible. Voyez-vous, le Théorème de Schwartz est en fait une démonstration mathématique — basée sur un certain nombre d'hypothèses sur lesquelles nous pourrions revenir — c'est la démonstration mathématique d'un concept qui est connu depuis la nuit des temps par les hommes et qui s'exprime de nombreuses façons et en particulier par des dictons, les dictons étant — comme le disait Tarensky — des pépites de sagesse fossilisées dans le langage.

— Oui. Alina, je vous interromps pour demander de rappeler à nos spectateurs qui était Tarensky ?

— Tarensky était un linguiste russe qui est mort à Moscou l'année dernière, écrasé par un autobus. Des dictons, disais-je, et aussi des contes, des odes, etc. et aussi ou peut-être surtout des traités de technique militaire, policière, ou même économique, ainsi que des ouvrages sur les jeux comme les échecs, ou même des sports collectifs, et cætera, la liste est presque sans fin. Et quel est ce concept ? Et bien, à la base, le Théorème de Schwartz dit que dans un conflit, quelle qu'en soit la nature, l'avantage est à l'attaquant. Et plus précisément — car il y a de très nombreuses façons de dériver les conclusions du théorème de Schwartz et en particulier sous des formes mathématiques que nous appelons nous des corollaires, c'est du jargon, pardonnez-moi... Plus précisément donc, le Théorème de Schwartz dit que dans un conflit, l'avantage est à celui qui bouge le premier, celui qui se montre le plus audacieux et qui non seulement fait le plus de dégâts chez son ou ses adversaires, mais aussi, et c'est une condition très importante, l'avantage est à celui qui produit ces dégâts le plus vite.

— Alina, merci, je crois que c'est une définition très claire : l'avantage est à celui qui attaque férocement. Que dit le théorème sur la différence de moyens entre les parties ?

— Ah ! C'est là que les choses peuvent devenir très techniques, car l'une des particularités du Théorème de Schwartz est qu'il n'est pas seulement la démonstration d'une conjecture, mais — et ce n'est pas une première en mathématique — il inclut aussi une théorie complète — théorie qui reste encore de nos jours au plus haut niveau de la technicité mathématique — une théorie non seulement qualitative, mais aussi quantitative, une théorie qui permet de prendre en compte des différences arbitrairement importantes de moyens entre les parties en cause. Et là, les résultats donnés par le théorème sont ce qu'on appelle en mathématique des inégalités.

— Ce sont les fameuses inégalités de Schwartz ?

— Oui, bien entendu elles portent son nom. Il est d'ailleurs intéressant de noter que le terme « inégalités de Schwartz » désignait, avant William Siebel Schwartz, les travaux d'un autre très grand mathématicien, un Français homonyme qui est depuis malheureusement un peu oublié, mais refermons cette parenthèse. Ces inégalités permettent en gros de qualifier les chances de succès des parties en cause en fonction des différences de moyens.

— Et elles donnent un résultat particulier si les différences sont importantes, il s'agit de probabilités ? Elles augmentent ?

— Oui et non. C'est un peu plus compliqué que cela, à cause du fait que la causalité n'est pas qu'une affaire de probabilité. Mais laissons cet aspect des choses de côté, il est trop technique. En fait, l'une des découvertes les plus surprenantes de Schwartz — et il expliquera que ce résultat est contraire à l'intuition qu'il avait en s'attaquant au problème — la découverte surprenante de Schwartz, donc, est que l'on peut démontrer qu'au-delà d'une limite discrète et calculable... Enfin calculable... au moins en théorie... Bon, pour faire bref, au-delà d'une limite discrète et calculable, la probabilité que le plus fort gagne atteint quasiment la certitude.

— Autrement dit, si l'adversaire est « vraiment » plus fort et qu'il choisit l'attaque alors sa victoire est certaine ?

— Oui, c'est la façon la plus simple et la plus concise d'énoncer le Théorème de Schwartz : le plus fort gagne à tous les coups s'il prend les devants. Il faut rappeler que ce résultat est théorique, et qu'il est basé sur une hypothèse très forte qui est l'hypothèse dite « d'infaillibilité ».

— C'est-à-dire que ce résultat est exact si le plus fort ne commet aucune erreur. C'est bien cela ?

— Exactement ! Et la façon de qualifier ce qu'est une erreur est, du coup, devenue un aspect de la théorie de Schwartz qui est un objet d'étude primordial pour un très grand nombre de mathématiciens aujourd'hui. A ce titre, j'ai plus de quarante personnes dans mes équipes qui travaillent à plein temps sur ce sujet.

— Nous allons revenir plus tard, si nous en avons le temps, sur les hypothèses qui ont été faites par Schwartz pour démontrer ce théorème et aussi sur ses nombreux corollaires. Je rappelle à nos spectateurs qu'un corollaire est une conséquence supplémentaire d'une démonstration. Mais, avant cela, je me tourne vers notre second invité ce soir qui est le Sociologue Max Dupont-Geignard, pour lui poser cette question : comment est-ce que la démonstration mathématique d'une connaissance empirique a pu bouleverser à ce point toute la pensée moderne, et en particulier la pensée politique ? Et est-ce que c'est un phénomène unique ?

— Non, ce n'est pas du tout unique. Qu'une découverte scientifique fondamentale puisse avoir un très profond impact idéologique est même un phénomène récurrent dans l'histoire de l'homme.

— Pouvez-vous en quelques mots nous donner des exemples ?

— Oui, on ne peut pas aborder ce sujet sans citer en premier lieu les travaux de Copernic, qui affirmaient tout simplement que le centre du monde n'était pas la Terre, mais le Soleil. Notons que les deux réponses étaient fausses, mais celle de Copernic l'était très sensiblement moins ! Plus près de nous, on peut évoquer l'effondrement de la philosophie des lumières après deux siècles de règne, à la suite des progrès scientifiques du début du vingtième siècle, relativité d'Einstein, mécanique quantique, théorème d'incomplétude de Gödel, découverte de l'immensité de l'univers, etc.

— Ce qui est d'autant plus paradoxal que c'est l'essor de cette philosophie qui avait permis justement le fantastique développement des découvertes scientifiques.

— Voilà. Et, sociologiquement, ce qui est remarquable c'est la transformation de la notion même de « progrès » qui s'en est suivie, et l'impact moral, c'est à dire la transformation dans les esprits de ce qu'il est bien de faire, avec par exemple un contraste énorme entre la doctrine du « progrès à tout prix » qui était auparavant tolérée puisque le progrès était une force invincible, et donc capable de corriger ses propres erreurs. Avec la bombe atomique d'abord, puis les grands accidents écologiques, il s'en est suivi une prise de conscience aiguë que l'homme n'était plus juste un habitant de la Terre, mais qu'il était arrivé à un stade où il pouvait la détruire. Il en a découlé la réalisation que comme chaque découverte scientifique ouvre la porte à des menaces nouvelles, prendre le contrôle de ce risque était devenu une priorité politique majeure, d'où l'apparition des mouvements écologistes, et presque aussitôt, du terrorisme écologique, aujourd'hui devenu omniprésent.

— Et on peut faire une comparaison entre ces changements et ceux que le théorème de Schwartz a provoqués ?

— Tout à fait. On peut dire trois choses à ce sujet. Premièrement, il est clair que le théorème de Schwartz est à l'origine de l'une des plus profondes révolutions de la pensée humaine, et je fais référence bien entendu à la prise de conscience universelle de la nature de la menace. Deuxièmement, il y a un retournement fondamental : l'homme, au sens collectif du terme, qui pouvait se prendre pour Dieu puisqu'il avait acquis le pouvoir de détruire la planète, a réalisé que ce pouvoir était dérisoire à l'échelle de l'univers. Et à ce titre, la comparaison avec Copernic est plus qu'intéressante. Enfin, troisièmement, c'est la première fois, du fait d'Internet bien entendu, qu'une révolution intellectuelle, morale et philosophique de grande ampleur prend place en quelques jours, quelques heures pourrait-on même dire.

— Oui, avec des conséquences épouvantables sur lesquelles on va revenir. Qu'est-ce qu'on peut dire des jours qui ont précédé cette crise terrible ?

— De façon chronologique, le premier évènement, l'étincelle qui va mettre le feu aux poudres, c'est la présentation que Schwartz a faite au congrès de Stockholm.

— Il est utile de rappeler qu'en effet la première présentation publique de son théorème par Schwartz s'est déroulée au cours de ce congrès et en a fait la célébrité. Comment expliquer qu'avant cette présentation le théorème n'avait éveillé aucune attention dans les médias ?

— De toute évidence, la raison est la nature extrêmement absconse du travail de Schwartz. Seuls quelques mathématiciens avaient capté la portée du Théorème. Par contre, en faisant jouer leurs réseaux, ils avaient, on peut dire, préparé le terreau de la crise sous la forme d'une horde de spécialistes convaincus qui dans chaque pays n'attendaient que l'occasion d'être contacté par les médias pour donner leur avis. Ce qui va faire l'étincelle c'est que, durant ce discours, Schwartz a révélé que la raison pour laquelle il s'était intéressé à cette problématique était la fameuse « Question de l'attitude ».

— Professeur, il va être nécessaire d'expliquer ce qu'est la « Question de l'attitude ».

— Oui, bien entendu. La « Question de l'attitude » est un problème philosophique qui a été formulé très tôt, en fait, dès le début vingtième siècle, par les écrivains de Science-fiction, avec en exemple emblématique le roman « La Guerre des Mondes » de Wells. Bien avant cette époque, on avait fait l'hypothèse de l'existence d'extraterrestres, et les gens s'étaient posé une question toute simple : quelle pouvait être l'attitude des extraterrestres vis-à-vis de la Terre et de l'humanité ?

— Et pourtant, il n'y avait aucune preuve tangible de l'existence des extra-terrestres, ni même en fait le moindre indice, n'est-ce pas ?

— Tout à fait. À l'époque, ces questions étaient dans le champ de l'imaginaire et du romanesque et n'intéressaient à plein temps qu'un petit nombre d'individus. On peut noter d'ailleurs qu'à l'époque de Wells, en plein positivisme, dépeindre une invasion extra terrestre était considéré de facto comme une faribole frivole. Cette attitude soit positive, soit de haussement d'épaules, a perduré ensuite. Mais à l'époque où Schwartz a commencé à travailler sur son théorème, la situation commençait à être substantiellement différente. En effet, comme Schwartz le révéla durant ce discours historique, les découvertes de 2018 jouèrent un rôle très important pour pousser Schwartz à finaliser ses recherches.

— Professeur, nous allons bien entendu revenir sur la question de l'attitude et les autres facteurs qui ont fait que la publication du théorème de Schwartz ait changé la face du monde. Mais, puisque vous avez dirigé le débat sur le terrain astronomique, il me semble opportun de donner la parole à notre troisième invité : l'éminent astrophysicien Charles Arkon-Lewer. Professeur, comment qualifierez-vous les découvertes de 2018 que Max Dupont-Geignard vient d'évoquer ?

— Ce qui s'est passé en 2018 est en réalité très simple bien que la séquence des évènements ait été assez complexe et j'invite les spectateurs à consulter mon programme éducatif en ligne sur ce sujet pour connaître tous les détails. En 2017, l'Agence Spatiale Européenne a déployé en orbite haute la troisième génération de télescopes interférentiels multi bande. Simultanément, les Russes et les Américains, les premiers fournissant les lanceurs et les seconds l'instrumentation, ont déployé le premier réseau de capteurs à très large base de l'histoire de l'humanité, réseau qui a atteint son étendue maximale en avril 2018 avec une base d'environ 20 millions de kilomètres.

— C'était énorme pour l'époque, mais c'est minuscule par comparaison à ceux qui sont déployés de nos jours, n'est-ce pas ?

— Oui, tout à fait, le réseau Héphaïstos III dont le déploiement s'achèvera cette année est, par comparaison, 10 milliards de fois plus étendu. Mais en 2018, l'apparition conjointe de ces deux nouveaux équipements a permis à la communauté scientifique de faire un bond en avant d'autant plus fantastique que personne à l'époque n'en avait seulement considéré la possibilité. Personne... sauf une poignée de visionnaires que tout le monde prenait pour des farfelus. J'invite à nouveau les spectateurs à venir butiner mon programme éducatif sur le sujet pour découvrir qui étaient ces précurseurs.

— En particulier, il y a eu un programme américain dans la seconde moitié du vingtième siècle. Et, ils n'ont rien trouvé, accréditant l'idée qu'il n'y avait rien à trouver !

— Oui, le SETI. Il faut dire que non seulement ils n'avaient pas les moyens techniques ad hoc, mais en plus ils recherchaient des émissions volontaires, des signaux qui nous auraient été envoyés pour nous saluer.

— Oui, c'était assez différent. (Rires retenus). Revenons à ce que vous disiez. En 2018, en quoi consistait ce bond en avant ?

— C'était un progrès phénoménal du point de vue de la résolution des images que l'on pouvait obtenir d'objets très distants comme des planètes orbitant autour d'étoiles proches. On peut dire qu'en gros l'humanité pour la première fois se dotait de la capacité de voir des objets d'une taille mesurable en centaines de kilomètres à des distances de quelques dizaines d'années-lumière. Dois-je expliquer ce qu'est une année-lumière ?

— Non, non, bien entendu, c'est au programme de l'école élémentaire, si je ne m'abuse ?

(rires)

— Et donc vers juin 2018, les premières images arrivent et on y découvre...

— On y découvre ces structures orbitales complexes, évidemment artificielles, et également absolument colossales, n'est-ce pas... De sorte que même à l'époque, personne ne peut raisonnablement émettre l'hypothèse qu'il puisse s'agir d'un phénomène naturel... Ces structures, dont les images sont dans tous les esprits, puisque dès l'année suivante, elles vont donner naissance à une forme nouvelle des arts graphiques et de la sculpture... Et que les présidents des États-Unis et de la communauté Européenne de l'époque font ce fameux discours conjoint dans lequel ils déclarent qu'il s'agit d'un nouveau défi pour l'humanité, et cætera... Et ils lancent effectivement le processus qui va, avec l'appui de la Chine et de l'Inde, mener en 2019 à la création de l'Agence Spatiale Internationale sous la forme, avec les moyens et les prérogatives que nous lui connaissons aujourd'hui.

— Max Dupont-Geignard, je me tourne vers vous à nouveau. Vous nous expliquiez que Schwartz a fait directement référence à ce contexte dans un de ses rares discours publics.

— Tout à fait, et il a très clairement expliqué le point suivant : pour Schwartz, les extraterrestres sont forcément très différents de nous. Il le dit explicitement dans ce discours et il reviendra sur ce thème tout au long de sa carrière. Et donc, puisqu'ils sont si différents, il est parfaitement illusoire de tenter de résoudre la « Question de l'attitude » par autre chose que les mathématiques, car explique-t-il, je le cite : « Les mathématiques font abstraction de tout, les mathématiques font abstraction de nos sentiments, de nos croyances et des limitations de nos médiocres cerveaux »

— Dans la bouche de Schwartz, le terme « médiocres cerveaux » pèse très lourd !

— Oui, c'est l'un des hommes les plus intelligents que l'humanité ait connu qui parle, et il ajoute : « Les mathématiques sont les seules connaissances humaines dont nous puissions espérer qu'elles permettent d'apporter du sens dans les réflexions sur le sujet des entités intelligentes de l'univers »

— Mais il ne conclut pas, n'est-ce pas ? Il ne pousse pas le raisonnement plus loin, il laisse le soin aux auditeurs et aux commentateurs de faire la conclusion finale.

— Tout à fait. Il ne dit pas le fond de sa pensée. Et certains ont avancé que la raison en est que, peut-être, Schwartz pensait que la plupart des gens ne seraient pas capables de recevoir un message aussi terrible. On sait en fait depuis sa mort et la publication par sa veuve de ses notes personnelles que c'est en fait parce que Schwartz estimait qu'une telle conclusion n'était pas mathématique.

— Oui, mais sur le fait que ce message était terrible à entendre, on peut s'accorder pour admettre que c'était vrai. Il ne faut pas oublier que ces évènements eurent des conséquences dramatiques... On a avancé le chiffre de 30 millions de suicides rien que dans le monde occidental, 300 millions pour la terre entière ? Max, est-ce que vous êtes d'accord avec ces chiffres ?

— Votre chiffre de 300 millions... excusez-moi, mais je ne sais pas à quoi il correspond. 30 millions c'est le nombre de suicides en 2024 en Amérique du Nord, et, dans le même temps, il y en a eu 20 millions au Japon, et 40 en Europe. Mais je ne vais pas revenir sur ces chiffres effrayants, nous savons tous que c'est l'annonce du lancement des deux programmes fondamentaux de la conquête spatiale qui permettra d'enrayer le phénomène au début de 2025.

— Oui, et je rappelle aux spectateurs que ces deux programmes sont bien entendu d'un côté celui qui vise à la réalisation du Système de Défense Spatiale, le fameux SDS, et en particulier de la Base de Défense Lunaire et, d'un autre côté, celui qui réalise le vaisseau Exodus.

— Exactement. Il faut aussi comprendre que c'est à la même époque que les généticiens et les spécialistes de l'évolution de la vie ont commencé à se doter d'outils mathématiques leur permettant de simuler à très grande échelle l'avènement de la vie sur une planète.

— Il est utile de préciser : une planète quelconque, c'est-à-dire pas juste la vie sur la Terre.

— Oui, voilà, bien entendu. Ce qui est fructueux dans cette démarche, c'est de comprendre ce qui a pu advenir ailleurs, soit avec des conditions presque identiques, soit avec des conditions très différentes.

— Or, ces recherches sur la théorie de l'évolution avaient déjà porté des fruits intéressants au moment où Schwartz s'est mis au travail. Alina, pouvez-vous nous éclairer à ce sujet ?

— C'est très simple : les travaux sur la théorie de l'évolution, celle de Darwin, s'étaient depuis le milieu du vingtième siècle enlisés dans des débats sur la mécanique qui la mettait en œuvre sur la Terre par le biais de la structure moléculaire des êtres vivants.

— L'ADN, c'est bien cela ?

— Oui, l'ADN, les Gènes, la façon dont la reproduction et la vie fonctionnent sur Terre.

— Excusez-moi de vous avoir interrompue, vous parliez de l'enlisement du néo Darwinisme ?

— Oui. Enfin, « enlisé », je suis injuste... Il est tout à fait essentiel de comprendre par quel truchement moléculaire l'évolution se déroule sur Terre. Cependant, ces querelles avaient occulté un aspect plus fondamental de la théorie de l'évolution : en dehors de toute mise en œuvre particulière, comme celle qui a eu lieu sur Terre avec l'ADN, il y a une idée directrice qui ne dépend pas des conditions de développement de la vie dans un endroit donné. Cette idée directrice, c'est que l'évolution est inéluctable et qu'elle doit être gouvernée par des règles universelles, indépendante du support moléculaire qui en véhicule les fonctions.

— Pour simplifier, il y a une corrélation directe entre cette inéluctabilité de l'évolution et le théorème de Schwartz ?

— Exactement, il y a une façon de mettre en œuvre la partie interprétative du théorème de Schwartz de façon itérative, dans un contexte évolutionniste, qui révèle des aspects importants de la théorie de l'évolution.

— Et ces aspects ont trait à l'agressivité des espèces.

— Oui ! Le théorème de Schwartz indique sans ambiguïté que les espèces les plus agressives sont appelées à dominer à la longue l'Univers entier. Car, premièrement ce sont les espèces qui ont le plus de chance de parvenir à vaincre d'autres espèces en cas de rencontres, y compris sur leur planète originelle. Cela, c'est le théorème de Schwartz, disons dans sa version pure et dure. Et, deuxièmement, ce sont presque exclusivement ces espèces agressives qui vont rechercher activement la rencontre. En fait, si on prend en compte la densité de l'Univers en termes de distance entre systèmes pouvant abriter de la vie, les calculs théoriques indiquent de façon claire que le désir d'agression pour détruire est de loin la motivation la plus capable d'induire une civilisation à investir dans l'effort titanesque de la conquête spatiale.

— En d'autres termes, quand on analyse les motivations que pourraient avoir des extra-terrestres pour venir nous rendre visite, on voit donc un faisceau de présomptions concordantes que cette visite serait inamicale ?

— Le terme « présomption » est trop faible. On est très près de la certitude absolue. En fait, on peut formuler les choses de la façon suivante : il est très possible que l'Univers soit rempli de civilisations relativement peu belliqueuses dont nous n'entendrons jamais parler. Et il est quasi certain que si une civilisation extraterrestre venait à nous rendre visite, cela serait dans le but de nous détruire.

— On parle aussi d'asservissement, plutôt que de destruction.

— Le théorème de Schwartz est impuissant à donner des réponses sur les conséquences finales qu'une agression victorieuse pourrait présenter. C'est une question politique. Je veux dire : présenter une interprétation autre que la destruction est une chose politique. De mon point de vue, asservissement ou anéantissement total sont deux choses tout aussi peu souhaitables. De la même façon, je qualifierais de romantiques les hypothèses selon lesquelles nos éventuels envahisseurs seraient motivés par la capture de certaines ressources dans le but de les ramener chez eux, comme l'eau, car ces hypothèses sont difficiles à justifier en termes de logistique. Par contre, les stratèges confirment que pour une race capable de traverser l'espace, l'idée de se constituer un réseau de bases est tout à fait attrayante. Et pour une race qui veut survivre longtemps, l'idée d'essaimer sur de nombreux mondes est logique sur toute la ligne. Enfin, pour conclure, de toute façon, si je peux exprimer mon sentiment, il me semble certain que par comparaison à la taille de l'univers et au temps qu'il faut pour s'y déplacer, l'existence d'une race comme la nôtre sur une planète comme la nôtre, quelques milliards d'individus fragiles à la surface d'un seul et unique minuscule grain de poussière, est assez facile à caractériser. À mon avis, notre existence se mesure à l'échelle de l'univers sur un bit d'information : soit nous existons et nous sommes libres de nous répandre dans l'univers, soit nous disparaissons, et la modalité m'importe peu.

— Merci Alina, voilà une opinion bien tranchée sur le Théorème. Max, afin de terminer cette émission, pouvez-vous nous dire quelques mots au sujet des implications qu'un renversement éventuel de la situation pourrait avoir ?

— Oui, bien entendu, il est aussi essentiel de considérer la possibilité que l'humanité soit victorieuse face à un envahisseur, ou même que l'humanité ne soit jamais attaquée, mais, en se jetant dans la conquête spatiale, qu'elle devienne agressive. Du coup, il est important de savoir si nous ne préférerions pas rester passifs quitte à disparaître.

— Et les conséquences philosophiques et sociologiques sont importantes.

— Oui, elles sont très importantes. On trouve en particulier dans de nombreuses religions des descriptions de la destinée individuelle qui peuvent être interprétées comme prenant du sens en tant que destinée collective.

— Autrement dit : c'était écrit, si l'humanité doit disparaître, c'était inévitable, un dessein de l'être suprême, et il serait vain de vouloir s'y opposer.

— Voilà. Malheureusement, ces considérations prennent leur importance moins à cause des thèses inspirées des grands classiques de non-violence que de la résistance à ses thèses qui sont nées depuis, et qui sont souvent virulentes.

— Et par « virulentes », il faut entendre « terroristes ».

— Oui. Il est notoire que de nombreuses obédiences prônant la violence aveugle comme arme nécessaire trouvent leurs racines dans cette antithèse.

— Avec des rattachements éventuels à des mouvements politiques, spirituels ou religieux.

— Bien entendu, il s'est imposé comme nécessaire au plus haut point pour tous les courants de pensée d'avoir au moins un avis sur la question. Or, certains, en embrassant cette problématique, ont basculé ou divergé dans des directions surprenantes de diversité, y compris le terrorisme.

— Une dernière question avant de rendre l'antenne, sur les conséquences écologiques et les implications terroristes. Un mot sur le concept du pari destructeur, Max ?

— Je crois qu'on peut exprimer le concept du pari destructeur très simplement : on sait maintenant que malgré les efforts très importants qui ont été investis pour sauver la planète, c'est la construction du SDS qui est en train de nous empêcher de gagner la lutte contre l'effet de serre, avec des conséquences dramatiques sur la météo et, côté humain, la radicalisation absolue de certains mouvements écologiques.

— Oui, on pense bien entendu à GreenWar. Merci à tous. L'heure est venue de rendre l'antenne. Merci encore à nos invités et à la semaine prochaine !